De la déception à l'érotisme en politique en 2022
Dimanche 10 avril, 19h45. Nous nous rendons au Cirque d'Hiver pour attendre les résultats du premier tour devant le QG des troupes de l'Union Populaire. Le trac. Devant l'écran géant ça grille des clopes nerveusement et lance des vannes avec des sourires un peu crispés. Dans tous les cas on sait qu'on va pleurer. Les larmes furent amères.
Cet espoir, énorme, de voir une politique de gauche et de rupture, déjouer le scénario infernal écrit de longue date, chassé par une énorme déception.
Nous avons pleuré, nous avons bu, nous avons parlé de l'avenir, nous sommes accrochés à l'espoir tenu d'une remontada providentielle, puis nous avons dû nous rendre à l'évidence, c'était plié.
Le lot de consolation : avoir été porté, puis réconforté, par le perdant himself, classe jusque dans la défaite. Il me semble que c'est au moment où il tire sa révérence que la gauche réalise vraiment à coté de quoi elle vient de passer. Oui, ce leader politique aux allures de grand-père bonhomme et à l'esprit fin était réellement prêt à gouverner la France. En parfait leader, il regonfle ses troupes au moment où il essuie probablement sa plus cuisante défaite personnelle.
J'imaginais regarder un débat télévisé Macron-Mélenchon, le genre d’événement politique qui ne se produit que trop rarement. Je nous voyais déjà, réunis, en famille ou dans les bars, suivre les échanges dont on nous ressortirait les phrases-choc avec les images d'archives dans 20 ans encore. Oui, nous sommes passés à coté d'une belle histoire.
Le problème, avec les belles histoires, c'est qu'on a du mal à les laisser mourir. Le romantisme et la politique mènent souvent à de cruelles déceptions.
Ces déceptions à répétitions m'ont éloigné, comme beaucoup, du combat politique organisé. Le système bi-partisan, la trahison des élites, la politique politicienne, la déception de la gauche "de gouvernement"... C'est sans doute la raison pour laquelle j'étais plus à l'aise dans les mouvements apartisans ou les partis confidentiels, en recherche d'innovation démocratique. J'ai fini, comme beaucoup d'autres, par me tourner vers l'action citoyenne : faire d'un mode de vie, du travail, de la consommation, un geste politique. Jamais résolu à l'abstention, mais j'ai voté pendant des années sans réelle conviction.
"On ne perd pas tout le temps" dit Daniel Mermet. C'est vrai qu'à gauche, on a l'habitude.
Est-ce cette habitude du combat sur le temps long qui fait que quelque chose veut toujours y croire?
La politique, c'est une histoire que des individus écrivent collectivement. L'histoire du dimanche 10 avril: la France n'est pas prête pour Mélenchon président. Soit. Nous, on se rend compte que l'on en a sacrément envie du changement. On y a tellement cru, que les copains et les copines anars, révolutionnaires et abstentionnistes ont bien voulu y croire avec nous et ont bougé leur fesses jusqu'au bureau de vote, que certains n'avaient jamais vus de leur vie.
Nous, que l'on rangeait dédaigneusement dans le camps "des extrêmes", nous sommes devenus la gauche. Début de l'histoire. Ecolos, bobos, socialos, communistes, trotskyste, anarchistes... La gauche qui n'existait plus depuis longtemps s'est retrouvée dimanche 22 avril à travers l'Union Populaire.
Alors bien sûr, si cette défaite est aussi une victoire, ça reste une défaite. Difficile à digérer. Il me faut un temps pour comprendre que je suis en colère et que j'ai besoin que ça sorte. En colère contre les militants EELV qui ont choisi Jadot. En colère contre les cadres EELV et PC qui n'ont pas compris la séquence politique qui avait commencé à s'écrire en 2017 avec l'arrivée de Mélenchon à la 4e place, dans un mouchoir avec Fillon et Le Pen, à 600 000 voix du second tour. En colère contre Mélenchon et LFI de ne pas avoir su créer les conditions de l'alliance. En colère contre tous ceux qui n'ont pas été capable de voter Mélenchon. En colère contre les médias et les commentateurs politiques qui ont construit l'image caricaturale de Mélenchon qui le suit encore aujourd'hui. En colère contre Jadot et Hidalgo pour avoir passé la moitié de leur campagne à brandir l'épouvantail caricatural de Mélenchon pour garder leurs électeurs plutôt que de défendre leur projet. En colère devant le gâchis d'être passé à ça d'une possible victoire d'un programme écologique et social de rupture, celui que j'attends depuis le début de mon engagement militant.
Et si je m'étais engagé davantage, plus tôt? Est-ce que cela aurait changé quelque chose? Oui, je suis aussi en colère contre moi.
Une fois apprivoisé cet orage sourd qui gronde, je peux me brancher sur sa réserve d'énergie phénoménale, redevenir le Zeus de mon existence et lancer des éclairs déterminés, là où il y a besoin d'ensemencer la terre. De la dépression à l'exaltation il n'y a parfois qu'un pas.
Alors, revenons sur Terre. Qu'est-ce que j'apprends? Que grâce au travail colossal accompli par d'autres, j'ai à nouveau le désir d'aider à pousser la pierre pour qu'elle puisse un jour franchir l'obstacle. Que j'aime la politique et en partager les réflexions, les analyses. Que des désintéressés de la politique aiment entendre mon avis. Que cela peut les aider dans leurs propres réflexions. Que de faire vivre cette passion est une responsabilité, sinon, c'est pécher par paresse.
Alors oui, je vais y aller. Je vais y aller dans ces partis que j'ai fuis jusqu'à présent et voir comment je peux les aider. Je vais y aller vous donner mon avis même si vous ne l'avez pas demandé. Je vais y aller rêver et créer les espaces politiques qui n'existent pas et dont nous avons besoin. Car il le faut.
Je sens et j'espère que je ne serai pas seul. Que cette déception soit le coup de pied au cul pour nous remettre en selle et apporter l'énergie nécessaire pour franchir ce barrage. Que toutes celles et ceux, déçus de la politique puissent retrouver en ce moment le désir érotique de participer à la grande transformation collective. Celle de la victoire de l'écologie sociale politique en France, en Europe, dans le monde. Car il le faut.
Alors, on en est où ? La première image, c'est le retour à la case départ. Devoir choisir entre la peste et le choléra. Rien d'érotique là dedans. Il est donc temps de prendre un peu de recul sur la situation et de penser stratégie.
Deuxième image: une victoire politique. Alors que depuis le début de la campagne les commentateurs politiques pleurnichent sur le thème "la gauche n'existe plus", elle est là, sous nos yeux à travers un nouveau bloc d'écologie-sociale de rupture, avec pour centre de gravité l'Union Populaire. Avec autour : EELV, la gauche communiste et révolutionnaire. C'est pas beau ça?
Troisième image: le système politique français s'organise désormais en 4 blocs et l'offre politique devient beaucoup plus claire, avec :
- l'écologie sociale de rupture dont je viens de parler.
- les libéraux sécuritaires actuellement au pouvoir, qui attirent vers eux la gauche social-démocrate (PS) et la droite libérale des Républicains.
- l'extrême droite (RN et R!), pas encore alliés, mais capables de faire bloc.
- l'abstention.
Le bloc victorieux est l'abstention. Là, une immense réserve de voix de déçus du système à aller chercher pour remporter les prochaines étapes. Les oubliés, les déçues, les dégoûtés. Aucun des blocs politiques exprimés ne domine clairement le jeu et si celui au pouvoir gagne les présidentielles, ce sera par défaut. L'envie de changement des Français reste présente chez les deux tiers d'entre-eux. Une victoire aux législatives est donc possible.
Une victoire du bloc populaire, écologique et social obligerait la nomination de Mélenchon comme 1er Ministre. Et nous voilà avec une Assemblée Nationale et un gouvernement d'Union populaire , en partenariat avec EELV, le PC, NPA et LO. A l'heure où j'écris ces lignes, les négociations ont lieu entre ces différents partis pour tenter de réaliser ce scénario. Car si hier l'alliance semblait impossible, aujourd'hui un nouveau monde se fraye un passage.
Et si c'était ça la France en 2022 ? Une France avec une jambe gauche qui veut avancer et changer de direction, la droite reculer. La tête, au centre, ça la rassure de continuer sur sa lancée libérale. La stratégie serait donc d'utiliser l'élan de la tête pour avancer et l'obliger à changer de direction au prochain carrefour.
J'ai eu des débats dans cet entre-deux tours avec des gens qui ne se sont pas résolus à voter Mélenchon au 1er tour et se sont rabattus sur Jadot ou Macron: la perspective des pleins pouvoirs à Mélenchon était trop angoissante pour eux. J'ai compris de nos discussions que ces électeurs pourraient faire confiance à un gouvernement d'Union Populaire avec EELV et la gauche radicale si Macron était tout en haut de la pyramide, réduit à ses premiers devoirs : être garant des institutions et représenter la France à l'International.
Et là, le ciel peut s'éclaircir enfin pour toute cette France qui déteste presque autant Macron que l'extrême-droite : le président jupitérien réduit au rôle de prestige et de stabilité à l'international et en Europe, pied à pied avec un gouvernement qui porte un programme de bifurcation écologique, soutenu par une Assemblée Nationale majoritaire. Sentez-vous comme moi l'érotisme de cette perspective ?
Alors il nous incombe pour parfaire notre stratégie de bien choisir la place de nos ennemis. Si l'extrême droite devait prendre le pouvoir en France, la situation politique deviendrait trop instable pour permettre la réalisation de ce scénario car les forces rétrogrades, la jambe qui recule, disperserait les forces de notre dynamique. Avec Macron comme président élu, nous pouvons rassurer le bloc bourgeois libéral et bénéficier du ressentiment et de l'envie de changement du bloc populaire pour gagner la victoire des législatives, et permettre enfin à la jambe gauche d'avancer et de bifurquer vers l'écologie sociale.
Évidement il existe d'autres scénarios, la victoire n'est pas assurée, mais elle est possible. Aux déçus du dimanche 10 avril: les prochaines échéances électorales nous offrent le choix entre déception et érotisme. Puissions-nous être guidés par le désir.
Cet article à été publié à l'origine sur mon profil Facebook le 23 avril 2022